INTEGRATION
SCOLAIRE

Le B.O.
N°21
23 mai
1996

Actualité

Favoriser l'intégration

Le docteur Moïse Assouline, psychiatre, directeur de l’hôpital de Santos Dumont, à Paris, dans le 15e arrondissement, et Marie-Claude Lechaux, institutrice dans cet hôpital soulignent la nécessaire prise en charge institutionnelle, thérapeutique et pédagogique des adolescents et des jeunes adultes autistes.

Bulletin officiel : Quelle est l’originalité de l'hôpital de jour Santos-Dumont ?

Moïse Assouline : Nous sommes différents pour au moins deux raisons. Nous accueillons 26 jeunes gens dans la tranche d'âge de 14 à 24 ans, alors que bien souvent un véritable "couloir d'exclusion" se met en place pour ces patients à partir de 18 ans. De plus, nous prenons en charge des pathologies sévères caractérisées par l'union de déficits et de troubles du comportement, qu'il s'agisse d'autisme "vrai" ou de psychoses infantiles à évolution déficitaire. Notre centre, qui fonctionne comme son jumeau l'hôpital de jour d'Antony, a été transformé en 1990 pour compenser les carences dans la prise en charge sanitaire, médico-sociale et sociale des adolescents et des jeunes adultes. En ce sens, comme nous y invite la circulaire du 27 avril 1995, l'hôpital Santos-Dumont offre un "plateau technique" dans lequel interviennent tous les spécialistes des troubles considérés. Mais nous pouvons aussi aider des structures extérieures - éducatives, sociales ou culturelles à devenir des éléments complétant et enrichissant notre capacité d'intervention et même à s'y substituer. A titre d'exemple, un jeune homme de 17 ans, Philippe, participe aux activités d'une classe intégrée chez les Apprentis d'Auteuil, avec évidemment un soutien psychologique et social proposé sous forme séquentielle à Santos-Dumont.

B.O.: Une vraie classe avec un tableau et un mobilier "scolaire" existe dans l'hôpital. Pour quelles raisons ?

Marie-Claude Lechaux : Parce que l'école, c'est pour tout le monde, y compris pour des adolescents ou de jeunes adultes qui ont eu un cursus scolaire très perturbé, voire inexistant. C'est pourquoi notre classe est sans limite d'âge. Bien sûr, les relations pédagogiques que j'établis avec mes élèves sont très personnalisées. Il s'agit le plus souvent d'un dialogue. Avec beaucoup de patience, en écoutant, en essayant de comprendre le moindre signe, on découvre souvent des possibilités et des connaissances insoupçonnables. On ne sait comment, par exemple, certains jeunes ont appris à lire ou ont acquis des notions mathématiques... La deuxième étape consiste à les mettre en confiance pour qu'ils utilisent leurs connaissances. La pièce "classe", qu'ils identifient facilement, les aide à trouver cette confiance. Tous les jeunes, ne serait-ce que par leurs frères ou soeurs, ont une certaine représentation de l'école. Je pense que cette scolarité adaptée est un facteur d'intégration sociale.

B.O. : Avez-vous une démarche pédagogique particulière ?

M-C. L.: Très franchement, l'expérience -j'approche de la retraite - m'a appris qu'il n'y a pas de méthode unique et permanente. Il y a matière à réflexion et utilisation avec toutes les techniques, pour tenter " l'accrochage ". Aucune approche n'est à éliminer, car il n'y a pas de méthode miracle. Récemment, la "Communication facilitée", dont j'ai suivi la formation pendant un an, m’a confirmée dans cette certitude. On ne peut que favoriser plus ou moins la communication. Je sais cependant qu'en laissant les jeunes autistes se "rassurer" et se repérer à travers leurs répétitions stéréotypées de gestes, de dessins, voire de calculs, on parvient parfois à obtenir qu'ils utilisent réellement leurs compétences.

B.O. : Y a-t-il une spécificité dans la prise en charge globale des troubles de l'autisme à l'adolescence ?

M.A. : Oui, mais je crois qu'il faut surtout constater que l'exclusion qui frappe les sujets atteints de psychoses infantiles et les autistes est commune. Et pour des adolescents, un autre phénomène commun se surajoute à leurs pathologies, La plupart, en effet, ont souffert dans leur enfance d'une carence très précoce et très grave d'interactions avec des compagnons du même âge. Cette carence, due aux troubles de la petite enfance, est entretenue par la nécessité d'une prise en charge de type " nursing " par les adultes. Or, c'est un fait universel, le propre de l'adolescence est d'aviver l'intérêt pour les compagnons d'âge et la vie de groupe. Nous voyons apparaître des capacités d'imitation et de l'intérêt pour autrui chez les jeunes qui nous sont confiés. C'est pourquoi nous travaillons à favoriser des systèmes d'interactions entre ces jeunes gens de manière à les réintégrer dans un ensemble humain plus large, au-delà même de ce que commanderait leur pathologie spécifique. Il est vrai que lorsque nous établissons des projets personnalisés pour chacun d'eux nous prenons en compte la différence entre l'autisme vrai et les psychoses précoces non-autistiques. Mais nous tenons absolument à ce que les autistes ne soient pas privés de cette dynamique interactive dont ils ont besoin et qui les fait progresser.

B.O.: Quel est l'esprit général des projets personnalisés pour autistes ?

M.A.: Dans l'autisme, les problèmes de cognition et de relation à l'environnement sont très particuliers. La combinaison des perturbations sensorielles, affectives, cognitives et neuro-physiologiques est telle que les autistes construisent des éléments de perception du monde qui leur sont propres. Il faut connaître ces éléments pour établir une relation avec eux et favoriser leurs compétences. La répétition, et surtout le degré d'écart supportable par rapport à la "reproduction du même", sont parmi ces éléments. À partir d'observations et de recherches cliniques très complexes, notre objectif est de prendre appui sur ces processus répétitifs pour permettre un accès au changement, c'est-à-dire à la nouveauté, très angoissante pour les autistes si l'on n'a pas respecté dans un premier temps le passage par "le même".

B.O.: Quels rapports établissez-vous entre les projets personnalisés et l'intégration ?

M.A.: Ces rapports s'établissent dans une démarche progressive d'intégration sociale, en pensant bien sûr au devenir des jeunes gens, à leur vie adulte. Nos objectifs de prise en charge sont répartis en quatre temps, avec des possibilités d'aller-retour. Il y a l'activité à l'hôpital, l'activité à l'extérieur en milieu spécialisé, la participation à la vie d'un milieu ordinaire, culturel, artistique ou professionnel, avec le soutien de l'hôpital, et enfin la vie en milieu ordinaire, sans soutien. Selon les jeunes et les pathologies, on arrive plus ou moins loin en ce sens. Les "pénétrations" du milieu ordinaire peuvent être précaires. Mais l'esprit est bien de développer ces possibilités d'intégration et d'expression. Nous avons par exemple un atelier-théâtre dont les activités se sont "transportées" de l'hôpital au théâtre du Lucernaire où s'effectuent actuellement des répétitions en vue d'une vraie représentation. C'est exactement le même esprit pour les activités sportives ou para-scolaires. J'ajoute que lorsque l'intégration réussit, elle libère des places.

B.O.: Précisement, le devenir des adolescents autistes est un sujet très préoccupant, en particulier pour les parents. Qu’en pensez-vous ?

M.A. : Actuellement, avec les plus âgés, après 19 ans, il nous faut trois ans de travail avec chacun des jeunes pour trouver une insertion digne qui ne soit pas l'hôpital psychiatrique. Il nous faut donc trouver des relais et, quand les parents le souhaitent, des structures d'hébergement qui, actuellement, sont en nombre insuffisant. Nous sommes parfois contraints d'aller jusqu'en Belgique pour trouver des résidences. Nous nous donnons aussi, pour favoriser ces insertions, la possibilité institutionnelle de réintervenir provisoirement quand le besoin s'en fait sentir. Cela rassure les structures relais. Le manque de places reste cependant dramatique. C'est un devoir social de miser sur le développement de structures d'accueil pour ceux qui sont le plus en difficulté et qui, de toute évidence, retirent toujours un bénéfice des prises en charge de qualité.

Propos recueillis par Gérard DOULSAN

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